Le plaisir de rester actif
Par Jacques Vanden-Abeele
Université de Sherbrooke
Cette semaine, j’ai relu cet article que je vous avais fait paraitre en 2009. Depuis sa publication,
le concept a pris forme et a évolué dans notre milieu de santé. Mais, n’en demeure pas moins,
qu’il reste encore de l’éducation à faire à ce sujet.
En 2008, je voulais suivre une formation sur l’approche adaptative pour des personnes ayant
subi une opération aux hanches. En faisant mes recherches, j’ai trouvé cet article écrit par mon
professeur de neurologie pendant mes études universitaires, M. Jacques Vanden-Abeele. Un
professeur exigeant, mais donc passionné par la neurologie. Il est décédé à 86 ans.
Pendant sa retraite, il travaille en laboratoire de motricité humaine au département de
kinanthropologie à la faculté d’éducation physique et sportive. Il est aussi chercheur associé au
groupe de recherche « Neurosciences computationnelles » à la faculté de génie. Il est alors
responsable des programmes pour les personnes avec difficultés de mouvement du groupe de
recherche et d’intervention en éducation physique et sportive adaptative. Heureusement qu’il
était à sa retraite !
Depuis la lecture de ses recherches en 2008, je n’ai plus vu le participant* avec difficulté de
mouvements de la même façon. Je pense plutôt qu’il doit s’organiser autrement pour rester
autonome et non dépendant du système médical et paramédical. Je vous résume son ouvrage.
Peut-être que vous aussi à votre tour vous vous questionnerez sur votre approche client ou
peut-être que ça confirmera davantage votre style d’enseignement.
*C’est pour cette raison que je préfère utiliser le mot participant plutôt que le mot client. Dans le mot participant, il y a le verbe participe. Il participe donc à sa réorganisation.
Dans le domaine de la santé, le médecin est l’ expert qui identifie le problème affectant la
personne malade. Et il prescrit les remèdes (Stalker & Jones, 1998). McKnight (1970) classe la
médecine parmi les « disabling professions », c’est-à-dire les professions qui créent des
incapacités. McKnight dit que la médecine transforme les besoins particuliers du patient par des
« incapacités ». Et la cause de ces incapacités se situe dans l’organisme biologique de la
personne.
Personnellement, je trouve les dernières lignes de McKnight difficiles à lire. D’autant plus que depuis la sortie de cette recherche, la pensée d’autoritarisme a laissé place à une pensée plus
adaptative. En fait, cette vision (McKnight) autoritaire de la médecine et de la thérapie était
controversée depuis les années 90. Malheureusement, on la retrouve encore trop présente
aujourd’hui, autant par les professionnels que par les personnes malades. Le « mouvement pour
une vie indépendante » de Munro & Elder-Woodward, 1992 fait le lien avec la vision de McKnight et ce qui serait souhaitable. Ils souhaitent avoir le contrôle de leur vie. Les auteurs définissent le mouvement de cette façon : « le besoin des clients de maximiser leurs capacités afin de pouvoir vivre de la manière la plus indépendante possible au sein de la communauté. Il identifie les activités de la vie quotidienne pour lesquelles le client aura besoin d’aide pour être autonome et le rôle du travailleur de soutien pour fournir l’aide requise. »
L’Association canadienne des ergothérapeutes (Sumsion, 1999) déclare qu’il désire que le
thérapeute et le client entrent en partenariat afin de trouver des méthodes qui amélioreraient
les capacités de la personne concernée. J’ajouterai que dans le domaine de l’éducation
physique, notre rôle n’est pas de faire faire de l’exercice seulement pour la faire bouger. Encore
plus, nous devons l’accompagner dans son cheminement vers l’autonomie.
Il y a certaines personnes qui sont très volontaires, peu importe ce qu’il leur arrive dans la vie.
Ce sont des gens facilitant notre tâche. Par contre, il y a les autres qui demeurent des
spectateurs de leur existence. Le risque de se laisser aller est plus facile pour les personnes en
difficultés de mouvement. Ça peut rendre la vie difficile. C’est pour ces personnes que selon
Stalker et Jones (1998) le système des services de santé a tendance à maintenir la personne
malade et/ou handicapée dans son état de dépendance. Nous devons l’aider à se prendre en
charge par le biais de notre style d’entrainement. Ainsi, nous ne parlons plus de réadaptation, mais plutôt d’adaptation. Nos entrainements peuvent devenir une éducation physique et sportive adaptative.
Selon les physiothérapeutes australiennes Carr et Shepherd (1987), nous devons reconnaitre la
personne avec une dysfonction motrice comme une personne qui doit réapprendre à exécuter
efficacement les activités du quotidien plutôt qu’une personne qui doit être guérie.
Le milieu dans lequel la personne évolue influencerait de beaucoup cet état d’apprentissage. Il
vaut mieux délaisser les milieux fermés pour le milieu naturel ou plus stimulant comparé au
milieu hospitalier ou les cliniques de réadaptation !
Selon Kempermann et Gage, 1998, le cerveau des rongeurs maintenus dans les espaces
restreints se développe moins que celui des rongeurs qui peuvent se mouvoir librement dans de
grands espaces. Je pousse cette affirmation plus loin. Pourquoi limiter notre participant dans
l’exécution de certains mouvements ? Ne jamais travailler dans la douleur n’est-il pas comme
limiter la personne à un espace restreint ? Peut-on explorer la série de mouvements à exécuter
autrement ? N’est-ce pas ça la réorganisation spatiotemporelle du corps de l’individu ?
Des travaux réalisés au département de réadaptation de l’université Laval démontrent que les
méthodes d’entrainement sportif sont plus efficaces que les méthodes traditionnelles de la
réadaptation (Richards, Malouin & Dean, Richards & Malouin, 2000).
L’aspect ludique de la pratique des activités sportives est aussi une valeur importante et
stimulante pour le système nerveux. De pratiquer son sport, c’est bon pour le moral, pour
l’estime de soi et pour l’aspect social. J’ajoute à ceci, jouez dans vos cours, amusez-vous,
inventez des jeux et profitez du grand air !
Le participant doit être l’acteur principal de son processus d’adaptation. Optimiser ces points
forts plutôt que de mettre l’accent sur les points faibles* (la ou les lésions du système
neuromoteur). Faites-le participer avec ce qu’il est capable de donner. Il est un humain
agissant.
*J’ai assisté à une conférence, l’automne passé, sur la moelle épinière et la locomotion. Je dirais que les points
faibles ont besoin aussi d’être stimulés pour que le système nerveux trouve un autre chemin adaptatif. Ce sera
probablement le sujet d’un autre article.
Peu de monde est intéressé à faire du solfège une vie durant, c’est plus intéressant de chanter.
Faites la même chose pour l’exercice. Après avoir appris à bien se tenir, qu’ils essaient, qu’ils
osent sur la Table ou sur le ballon ou dehors ou sur tout autre moyen de bouger à faire
autrement pour s’amuser. Ce cher dicton que j’emploie à répétition est tellement important
dans le processus : « Faites dans la joie ».
Les pratiquants doivent fournir des efforts importants. Il est bien connu que l’effort physique
peut susciter un état d’euphorie qui est attribué à la sécrétion d’endorphines. Cet état
d’euphorie contribue certainement à la jouissance-être que certaines personnes éprouvent lors
d’effort sportif.
Comme M. Vanden-Abeele le dit si bien : « Plaider en faveur du plaisir d’être physiquement actif,
particulièrement pour les personnes avec difficultés de mouvement. N’oubliez pas de vivre
comme dit les maximes de Goethe. »
Voici le lien qui vous mènera à l’étude du professeur Jacques Vanden Abeele
https://www.usherbrooke.ca/apprus/nos-membres/publications-de-nos-membres/publicationsde-jacques-vanden-abeele
Katia Lambert, kinésiologue
Mars 2024